Vertus théologales

Quelques remarques à propos des vertus théologales

Quelques remarques à propos des vertus théologales

 

Les trois vertus théologales sont la foi, l’espérance et la charité. Elles tirent leur origine de la fameuse trilogie paulinienne en 1 Co 13, 13 : « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (elpis) et l’amour (agapè) mais l’amour est le plus grand. » Elles sont nommées théologales pour la raison qu’elles qualifient la relation de l’homme à Dieu.

 

La charité

Si l’on se souvient que l’Eglise n’a pas ajouté de vertus humaines à celles déjà connues qu’étaient les vertus cardinales (prudence, force, justice, tempérance) puisqu’elles a repris celles des anciens, elle les a cependant soumises aux vertus théologales comme le fait Paul dans son hymne aux corinthiens. Si pour les vertus cardinales la reine des vertus est la prudence pour sa capacité à mettre une juste proportion entre moyens et fins, pour les vertus théologales, on dira que c’est la charité qui est la forme de toutes les vertus.[1]

Pour reprendre l’hymne paulinienne, on voit bien combien c’est la charité qui qualifie tous les actes. Il ne suffit pas de les produire, encore leur faut-il la forme de la charité sous peine d’être réduit à néant, d’être vains. Une vaisselle réalisée dans un contexte de charité ou avec rancœur sera toujours faite. Mais chacun sait que le fruit de l’acte ne sera pas du tout le même. (Voir l’image des 10 000 000). La charité vaut 1 et donne de la valeur à tout. Mais sans elle rien ne vaut.

 

Selon Jean-Marie Aubert, « on définira la place de la charité par rapport aux autres vertus par la finalité supérieure vers laquelle elle les élève et par la motion efficace qu’elle leur procure. La charité doit donc être conçue essentiellement comme le moteur et la fin de la vie morale, car seule elle procure aux actes humains leur bonté fondamentale (simpliciter) du fait qu’elle seule les meut et les oriente vers leur fin ultime. »[2]

Il est très intéressant de noter le double aspect de la vertu de charité : moteur et fin. Commençons par la fin. La vertu de charité est ce vers quoi tend tout acte dans ce qu’il veut manifester, exprimer et réaliser ; Mais en même temps, il faut se souvenir que Dieu est amour, Dieu est charité (1, Jn 4, 8). Autrement dit, la finalité de tout acte est Dieu lui-même à travers les frères qui sont l’objet de notre charité concrète. Dans un second temps, notons que la charité est un moteur et pas seulement une fin. C’est elle qui nous met en route et qui oriente nos actes. Autrement dit elle a cette caractéristique qui est propre à toute vertu qui est d’être déjà à l’œuvre tout en n’étant pas pleinement réalisée. On peut alors dire qu’est charitable toute personne qui fait effort en vue de l’être plus. Et il en est ainsi pour toute vertu : est courageuse toute personne qui fait effort de dépasser sa peur ; est chaste toute personne qui fait effort de le devenir…

 

L’espérance

Cette vertu se distingue de l’espoir qui porte sur des objets concrets. On peut avoir perdu tout espoir en une guérison prochaine ou garder l’espoir  d’une solution politique d’un conflit social. En revanche, quelque soit l’espoir qui nous habite à l’égard de telle ou telle réalité humaine, il est tout à fait possible de ne pas perdre l’espérance en notre Dieu qui nous a promis son amour et manifesté un salut en son Fils Jésus-Christ. L’espoir s’estime à l’aide de la raison. L’espérance se vit sous le regard de la foi ! L’objet de l’espérance est le salut, le bonheur béatifique, la participation à la gloire de Dieu.

Il y a un petit texte chez Habaquq tout à fait intéressant qui manifeste très bien ces deux réalités simultanément : « Car le figuier n’a pas fleuri ; plus rien à récolter dans les vignes.  Le produit de l'olivier a déçu, les champs ne donnent plus à manger, l’enclos s’est vidé de ses brebis ; plus de bœufs dans les étables. Mais moi je bondis de joie dans le Seigneur, j'exulte en Dieu mon Sauveur ! » Ha 3, 17-18. (Office des vêpres du vendredi soir de la seconde semaine).

Ou cet homme est fou ou la distinction espoir espérance nous permet de comprendre ce qui se vit dans son cœur. Les lieux de l’espoir (raison) et de l’espérance (la foi) ne sont pas identiques et il faut bien se garder de les confondre. Lorsque vous écouter quelqu’un vous dire que la situation est désespérée, ce n’est pas pareil que d’entendre un homme en bonne santé vous dire que pour lui il n’y a plus rien à faire. Le verbe désespérer peut renvoyer aux deux réalités et il importe d’entendre laquelle s’exprime.

 

La foi

Troisième vertu théologale, la foi. Cette foi est un don de Dieu, une grâce qu’il n’appartient pas à l’homme de faire naître ou de produire en son cœur. Ce don appelle la réponse de l’homme. Il est une grâce insigne qui se donne généralement au baptême, mais la force de l’Esprit ne connaît pas de limites pas même celle des sacrements. Mais une foi ajustée nous intègre à la communauté des croyants, nous conduit à une vie commune, à la vie de la communauté.

Ensuite on se souviendra que la foi n’est pas le savoir. Les démons savent qui est Jésus, qu’il est le Christ, mais ils  ne croient pas en lui. Saint Augustin disait qu’il y avait trois manières de croire : Je pense que ; prendre pour vrai et sûre la parole de tel témoin ; se mettre en route. Seule la troisième mérite la plénitude du terme de foi.

On se souviendra du très beau chapitre de l’épître aux hébreux sur les réalisations de la foi (He 11). Prenons le passage qui traite d’Abraham : 11, 8-19. On peut repérer dans ce texte les principales caractéristiques de la foi.

08 Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.

09 Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre promise, comme en terre étrangère ; il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse,

10 car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.

11 Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses.

12 C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.

13 C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs.

14 Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie.

15 S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir.

16 En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville.

17 Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses

18 et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom.

19 Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

 

Exemple de confit et d’articulation des vertus dans une saine hiérarchisation : la charité et la justice.

La charité dont l’expression ultime est le pardon est souvent opposée à la justice. C’est un thème fréquent lorsque l’on écoute les personnes victimes d’injustices graves. Elles  affirment qu’elles ne pardonneront jamais, qu’elles réclament justice et qu’elles ne seront en paix qu’une fois le jugement rendu et si possible un jugement selon leurs vues, c’est-à-dire sévère.

En théorie, les vertus ne peuvent s’opposer. Elles appartiennent à un corps organique. Aussi il convient de les articuler dans le bon ordre. Nous savons déjà que la commission épiscopale qui s’occupe de la Paix s’intitule « Justice et Paix ». Il ne peut y avoir de paix sans justice. Et il en est de même à l’égard de la charité. Une charité qui laisserait subsister l’injustice perdrait dans le même temps sa particularité. « Une charité qui léserait la justice, nous dit Jean-Marie Aubert, ne serait plus une charité mais sa caricature. C’est une tentation que d’invoquer la charité pour se dispenser de la justice ; la meilleure charité consiste d’abord à réaliser le droit nécessaire et pénétré par elle »[3]. On voit combien l’expression montre l’articulation. Ici encore, c’est la charité qui est la forme de la mise en œuvre de la justice. Nous sommes cohérents avec notre définition de départ.

La charité ne fait pas nombre avec les autres vertus ; Elle les informe les nourrit, les oriente et les qualifie.

 

Hannah Arendt, dans ses vies politiques raconte l’histoire suivante à propos de Jean XXIII : « Le Vatican payait ses ouvriers un salaire de misère malgré la doctrine de Rerum Novarum de Léon XIII.  Jean XXIII se promenant demande à l’un d’eux comment cela allait, et l’autre lui répondit que ça allait mal vu le peu qu’il était payé et le nombre de bouches qu’il avait à nourrir. Le Pape qui pensait avoir le pouvoir de changer les choses alla voir ses cardinaux pour améliorer le sort des ouvriers se vit répondre qu’on ne pouvait faire face à de nouvelles dépenses sous peine de rogner dans les œuvres de charité. Le Pape répliqua alors imperturbable qu’il fallait rogner car la justice passe avant la charité ».[4] En étant rigoureux, on remarquera que le terme de charité est ici moins proche de la vertu théologale de charité que de la vertu de solidarité. Mais on perçoit que là aussi, il faut non seulement articuler les vertus entre elles (solidarité et justice) mais aussi qu’il faut savoir les hiérarchiser. Ce qui n’est pas toujours facile dans la vie courante.

Et l’on comprend encore ici combien il importe que nous soyons justes entre nous car notre témoignage ne passera jamais si l’Evangile ne produit pas d’abord des fruits entre nous ! Jésus a fait même de notre qualité de vie le facteur principal d’évangélisation : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » Jn 17, 21.

 

© Bruno Feillet 28 juillet 2001.

 

 


[1] Voir aussi Philippe DELHAYE, « La charité, Reine des vertus », in Vie spirituelle Supplément, N°41, 1957, p.167.

[2] Jean-Marie AUBERT, Abrégé de la morale catholique, Desclée, Paris, 1987, p. 200.

[3] Jean-Marie AUBERT, Abrégé de la morale catholique, p. 201.

[4] Hannah ARENDT, Vies politiques, tel Gallimard, Paris, 1971, p. 78.